Saigon
Déjà 10 jours que nous sommes au Vietnam… J’avais prévu d’écrire un petit bilan sur le Cambodge mais les visites se succèdent et chaque nouvel endroit mériterait que je lui accorde quelques lignes. Alors sans parler de coup de foudre et pour résumer une impression générale, disons que nous avons apprécié ce pays contrasté et qu’il valait bien les 3 semaines que nous lui avons consacré.
Nous avons donc quitté l’île vietnamienne de Phu Quoc et avons débuté notre itinéraire à partir de la ville de Rach Gia pour atteindre Saigon 4 jours plus tard via les terres immergées du delta du Mékong. En réalité, dès le départ, nous nous sommes sentis voyager dans la banlieue d’Ho Chi Minh, à plusieurs centaines de kilomètres du centre ville, tant l’urbanisation systématique des principaux axes routiers, ceinturés d’une double muraille de béton, nous rappelle qu’avec 290 hab/km2, le Vietnam est l’un des pays les plus densément peuplé au monde. En de rares occasions, on aperçoit derrière les barreaux de cette prison urbaine les contours d’une rizière que l’on ne soupçonnait pas.
Saigon est un monstre urbain qui s’étire de la frontière cambodgienne à la mer de Chine méridionale et la ville est divisée en districts numérotés qui suggèrent l’idée d’une métropole du futur déshumanisée. Quand on pénètre dans la banlieue, cette fois pour de bon, on a l’impression d’un éloge à la laideur et d’une agression pour les sens, l’ouïe, la vue, l’odorat… Sensation d’oppression, on se demande ce que l’on fout là et si il ne serait pas préférable de déguerpir sur le champ. De la fenêtre du bus climatisé, la scène est cependant fascinante. Des milliers de scooters, dans un fracas étourdissant, exploitent la moindre parcelle de bitume et se déplacent comme des centaures motorisés doués d’un instinct grégaire semblable à celui d’un banc de poissons. Les édifices de tôles rouillées, de bois vermoulu, de béton noirci par l’humidité et les amoncellements de déchets complètent le tableau au même titre que les néons, les publicités géantes et les fils électriques qui s’entrecroisent dans un fatras indescriptible. Les premières heures sont difficiles et on mesure combien il est compliqué de circuler avec trois enfants dans cet enfer du deux-roues.
Assez rapidement, le cauchemar s’atténue et comme dans maints endroits, nous comprenons qu'Ho Chi Minh Ville ne dévoile pas ses atouts dès la première rencontre; il va nous falloir aller au delà de l’écume des choses pour finir, peut être, par apprécier la ville. Nous trouvons à loger dans une guesthouse coincée dans les ruelles étroites de quartiers plus authentiques, où la vie s’écoule comme dans un village, à l’abri des rugissements de la circulation. Ces petits quartiers labyrinthiques sont très surprenants. C’est à peine si l’on peut y déceler le ciel, tant les immeubles sont proches les uns des autres, et les vis à vis sont si étroits qu’on pourrait passer d’un bâtiment à l’autre sans difficulté. Les habitants vivent là, parfois dans quelques mètres carrés, déjeunent sur des petites tables installées dans la ruelle, c’est un monde miniature si éloigné du gigantisme de la cité. Saigon se découvre tôt le matin, lorsque les citadins entament leur journée dans les parcs en accomplissant quelques mouvements de gymnastique ou de yoga et le soir, lorsque la moiteur quotidienne commence à s’atténuer. Les jardins permettent également de respirer un bol d’air et d’échapper quelques instants au vacarme permanent.
Nous avons passé deux jours à Saïgon, trop peu pour visiter Cholon et le district 3 avec ses pagodes et son quartier chinois, mais suffisamment pour découvrir le jardin botanique et quelques merveilles architecturales comme la poste dont le toit fût édifié au début du 20ème siècle par Gustave Eiffel. La ville est si étendue qu’il faudrait des semaines entières pour en achever la visite. D’ailleurs, les nombreuses tours en construction suggèrent que si l’étalement est désormais devenu impossible, la conquête d’espaces supplémentaires réside dans la verticalité. La ville est en quête de modernité, pour le meilleur et pour le pire, comme le quartier de Dong Khoi, aseptisé et uniforme, avec ses tours de bureaux ultramodernes, ses magasins Louis Vuitton et Gucci, ses hôtels 5 étoiles et sa tasse de café à 3 dollars. C’est cette partie de la ville qui nous déçoit le plus, ce n’est plus Saïgon, mais une métropole moderne quelconque qui exhibe avec ostentation les signes d’un capitalisme sans âme.
Nous avions le sentiment en arrivant que Saigon était une ville à éviter, nous en repartons avec la conviction que c’est une cité à découvrir.